Comment les élus d’Aubervilliers ruinent leur ville

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Aubervilliers n’est pas seulement une commune sinistrée socialement. Elle l’est aussi politiquement, sous l’égide d’une maire communiste, Meriem Derkaoui. C’est ce que vient de montrer la Chambre Régionale des Comptes dans un rapport dont nous présentons la synthèse des observations.
La chambre régionale des comptes a examiné la gestion de la commune d’Aubervilliers de 2007 jusqu’à la période la plus récente. Cette commune, limitrophe du nord de Paris et située dans le département de la Seine-Saint-Denis, est membre de l’établissement public de coopération intercommunale « Plaine Commune », devenu établissement public territorial en 2016 avec la mise en place de la métropole du Grand Paris (MGP). Elle affiche une population légale d’environ 78 000 habitants, sensiblement plus jeune et plus défavorisée que la moyenne francilienne : environ 40 % de logements sociaux et quelque 22 000 personnes résidant en zone urbaine sensible. Le dynamisme démographique de ce territoire représente un enjeu important pour la collectivité, nécessitant un effort soutenu de construction de nouveaux équipements publics, notamment scolaires. Dans le même temps, sa proximité immédiate avec la capitale constitue pour la ville un puissant vecteur de développement et de transformation, dont témoigne l’implantation récente ou à venir de nombreux sites d’activités tertiaires.
Une situation financière chroniquement fragile et un endettement croissant, bien que récemment sécurisé
La fiabilité des comptes de la collectivité ainsi que la qualité de l’information financière paraissent globalement satisfaisantes. Les principales réserves portent sur le caractère insuffisant des éléments d’analyse prospective destinés à l’information des élus lors des débats d’orientation budgétaire, le réalisme des prévisions budgétaires pour les dépenses d’investissement (malgré un taux d’exécution de ces dépenses en progrès en 2015), des lacunes dans le suivi de certains postes de l’actif et un volume important de restes à recouvrer : 4,6 M€[1] fin 2015. Dans la mesure où une part importante de ces créances à l’égard de tiers est très vraisemblablement irrécouvrable, il incombe à la collectivité, en partenariat avec la trésorerie municipale, d’organiser leur admission en non-valeur en constatant leur perte. La mise en place d’une gestion pluriannuelle en autorisations de programme/crédits de paiement (AP/CP) constitue une autre voie d’amélioration de la gestion budgétaire et comptable de la commune.
La situation financière de la collectivité est demeurée fragile sur l’ensemble de la période examinée. Les charges de fonctionnement, constituées pour près des deux tiers par les dépenses de personnel, ont augmenté à un rythme annuel moyen de 4 % entre 2007 et 2014, avant une légère diminution en 2015 (- 3 %, à 112 M€). Les produits de fonctionnement ont progressé à un rythme similaire, sous l’effet notamment de plusieurs hausses de la pression fiscale en 2009, 2012 puis à nouveau en 2016, mais aussi de l’accroissement des bases imposables. Les concours financiers de l’État ont augmenté continuellement jusqu’en 2014, avant de commencer à se rétracter ensuite – diminution de 0,5 M€, soit 2 %, de la dotation globale de fonctionnement entre 2013 et 2015 – mais cet infléchissement a été plus que compensé par la montée en puissance des dispositifs de péréquation horizontale (FSRIF[2] et FPIC[3]) dont le montant a quasiment doublé de 2011 (4,0 M€) à 2015 (7,8 M€).
Du fait de sa capacité d’autofinancement structurellement faible, la commune a donc dû recourir massivement au levier de la dette (+ 46 M€ d’encours entre 2009 et 2013) pour financer son important effort d’équipement, portant sa capacité de désendettement au-delà du seuil critique communément admis de 15 années. Les risques liés au niveau d’endettement de la ville ont été amplifiés par la présence, dans l’encours de dette, de plusieurs emprunts structurés sensibles. Ceux-ci ont toutefois pu faire l’objet d’un réaménagement négocié courant 2015, permettant aussi à la commune d’accéder au mécanisme du fonds de soutien aux emprunts à risques.
La reconstitution des marges de manœuvre financières de la ville pour l’avenir s’annonce difficile, dans un contexte où de nouveaux investissements relatifs aux équipements publics et aux opérations d’aménagement seront nécessaires. Elle se double de certaines incertitudes, à l’heure actuelle, sur le panier de ressources de la collectivité dans la nouvelle architecture institutionnelle de la MGP.
Une gestion des ressources humaines défaillante, qui présente de nombreuses marges d’optimisation
La gestion des ressources humaines de la commune se caractérise en premier lieu par une augmentation des effectifs, notamment entre 2012 et 2014 (+ 59 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et + 8 M€ de masse salariale), liée principalement à la réforme des rythmes scolaires et à l’ouverture de nouveaux équipements. Malgré les enjeux liés à cette gestion et dans un contexte budgétaire contraint, cette gestion pâtit de lacunes importantes en termes d’outils de pilotage et de suivi, ainsi que d’une faible formalisation auxquelles il importe de remédier.
Ainsi, le régime indemnitaire institué par la commune comporte des irrégularités et il respecte insuffisamment le principe de parité avec la fonction publique d’État, tandis que les avantages en nature, certes limités dans leur ampleur, doivent être plus encadrés. De même, les règles relatives à l’organisation du temps de travail sont peu transparentes et elles font apparaître l’existence de certains jours de congés dénués de fondement légal ou réglementaire. La durée annuelle effective du travail applicable aux agents est inférieure de plus de 60 heures à la référence légale de 1 607 heures.
Surtout, l’absentéisme atteint un niveau très préoccupant parmi les personnels titulaires – 46,6 jours en moyenne par agent en 2013 – et il s’est aggravé sur la période récente. Il ne fait toutefois pas encore l’objet d’actions spécifiques de la collectivité pour chercher à le prévenir et à en limiter le coût et l’impact sur l’organisation des services.
Enfin, cette gestion, peu rigoureuse, transparaît dans les conditions de recrutement et de rémunération parfois irrégulières de certains emplois fonctionnels et de cadres non-titulaires, ou encore dans les modalités de mise à disposition des personnels communaux vers les nombreuses structures satellites de la collectivité, qui ne respectent notamment pas l’obligation de remboursement des charges salariales correspondantes.
Des relations avec le secteur associatif à encadrer et sécuriser davantage
Eu égard à leur poids financier non négligeable – environ un dixième des charges de fonctionnement en 2014 – et à leur évolution dynamique (+ 57 % entre 2007 et 2014), les concours financiers versés par la collectivité aux associations ont fait l’objet d’une analyse spécifique. Cette attention se justifie en outre par le fait que plusieurs structures associatives, principales bénéficiaires de ces concours, ont en charge la conduite de pans importants de la politique municipale, tels que l’organisation des activités de loisirs destinées à la jeunesse ou l’information publique locale, et que de nombreux élus siègent dans leurs instances dirigeantes.
Or, divers manquements sont constatés dans ces relations. Ils portent à la fois sur la participation des élus au vote des délibérations relatives aux associations qu’ils administrent, sur le contenu inégal et sommaire des conventions d’objectifs et de moyens conclues avec celles-ci, ou encore sur un faible suivi de l’utilisation des subventions accordées, dont le montant ne correspond pas toujours aux besoins financiers réels des bénéficiaires. Ces faiblesses se retrouvent pour les trois principales associations subventionnées par la commune : Aubervacances Loisirs, l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers et le Carrefour pour l’information et la communication d’Aubervilliers. Une redéfinition et une sécurisation des liens juridiques et financiers entre la collectivité et ces opérateurs paraissent nécessaires à bien des égards.
Une organisation de la fonction achat relativement structurée et efficace, mais perfectible sur certains aspects
Dotée d’une direction des achats et de la commande publique (DACP) depuis 2009, la commune a mis en place divers outils de formalisation et de contrôle interne des procédures. Ils ont permis d’améliorer la sécurité juridique de celles-ci et de limiter l’occurrence d’achats conclus hors marchés. Des démarches de mutualisation des achats existent par ailleurs au niveau intercommunal, mais elles demeurent assez limitées dans leur ampleur.
Malgré ce constat positif, l’analyse par la chambre d’une sélection de marchés passés entre 2014 et 2016 a permis d’identifier, outre certaines irrégularités ponctuelles, quelques insuffisances plus récurrentes, dans l’absence de recours à l’allotissement, dans l’information des candidats dont les offres n’ont pas été retenues ou dans la définition de la date de départ pour la durée des marchés.
[1] M€ : millions d’euros.
[2] FSRIF : Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France.
[3] FPIC : Fonds national de péréquation intercommunales et communales.
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